À propos d'un importun qui se disait son ami
à M Eugène Fromentin
Il me dit qu'il était très-riche,Mais qu'il craignait le choléra ;— Que de son or il était chiche,Mais qu'il goûtait fort l'Opéra ;
— Qu'il raffolait de la nature,Ayant connu monsieur Corot ;— Qu'il n'avait pas encor voiture,Mais que cela viendrait bientôt ;
— Qu'il aimait le marbre et la brique,Les bois noirs et les bois dorés ;— Qu'il possédait dans sa fabriqueTrois contre-maîtres décorés ;
— Qu'il avait, sans compter le reste,Vingt mille actions sur le Nord ;— Qu'il avait trouvé, pour un zeste,Des encadrements d'Oppenord ;
— Qu'il donnerait (fût-ce à Luzarches!)Dans le bric-à-brac jusqu'au cou,Et qu'au Marché des PatriarchesIl avait fait plus d'un bon coup ;
— Qu'il n'aimait pas beaucoup sa femme,Ni sa mère ; — mais qu'il croyaitA l'immortalité de l'âme,Et qu'il avait lu Niboyet !
— Qu'il penchait pour l'amour physique,Et qu'à Rome, séjour d'ennui,Une femme, d'ailleurs phtisique,Était morte d'amour pour lui.
Pendant trois heures et demie,Ce bavard, venu de Tournai,M'a dégoisé toute sa vie;J'en ai le cerveau consterné.
S'il fallait décrire ma peine,Ce serait à n'en plus finir ;Je me disais, domptant ma haine :« Au moins, si je pouvais dormir ! »
Comme un qui n'est pas à son aise,Et qui n'ose pas s'en aller,Je frottais de mon cul ma chaise,Rêvant de le faire empaler.
Ce monstre se nomme Bastogne ;Il fuyait devant le fléau.Moi, je fuirai jusqu'en Gascogne,Ou j'irai me jeter à l'eau,
Si dans ce Paris, qu'il redoute,Quand chacun sera retourné,Je trouve encore sur ma routeCe fléau, natif de Tournai.