Les poètes
Je ne sais ce qui me possèdeEt me pousse à dire à voix hauteNi pour la pitié ni pour l'aideNi comme on avouerait ses fautesCe qui m'habite et qui m'obsède
Celui qui chante se tortureQuels cris en moi quel animalJe tue ou quelle créatureAu nom du bien au nom du malSeuls le savent ceux qui se turent
Machado dort à CollioureTrois pas suffirent hors d'EspagneQue le ciel pour lui se fît lourdIl s'assit dans cette campagneEt ferma les yeux pour toujours
Au-dessus des eaux et des plainesAu-dessus des toits des collinesUn plain-chant monte à gorge pleineEst-ce vers l'étoile HölderlinEst-ce vers l'étoile Verlaine
Marlowe il te faut la taverneNon pour Faust mais pour y mourirEntre les tueurs qui te cernentDe leurs poignards et de leurs riresA la lueur d'une lanterne
Etoiles poussières de flammesEn août qui tombez sur le solTout le ciel cette nuit proclameL'hécatombe des rossignolsMais que sait l'univers du drame
La souffrance enfante les songesComme une ruche ses abeillesL'homme crie où son fer le rongeEt sa plaie engendre un soleilPlus beau que les anciens mensonges
Je ne sais ce qui me possèdeEt me pousse à dire à voix hauteNi pour la pitié ni pour l'aideNi comme on avouerait ses fautesCe qui m'habite et qui m'obsède
(Louis Aragon - 1897 - 1982)