Les vieux bateaux
Ils n'ont plus que leurs souvenirsCeux qui jadis couraient le mondeAvec une grâce d'arondeDe la Loire au GuadalquivirIls méditent sur leur passéQui les rendit veufs d'aventuresDans le bassin où leur mâtureSemblent des arbres trépassés
L'un fut goëlette autrefoisL'autre frégate sous l'EmpireLui n'était qu'un petit navireLorsqu'il combattait les AngloisEt maintenant, ils ne sont plusQu'un peu du vieux jadis qui flotteDont la pauvre tête radoteSur de vieux exploits disparus :
- J'ai vu la peste à SingapourEn dix-sept cent soixante-seizeDit un ancêtre au ventre obèse- Moi, je fus autrefois l'amourDe monsieur Vigny, vous savezUn poète, un aristocrate"Qu'elle était belle ma frégate !"Eh bien, c'est de moi qu'il parlait
- Vous semblez me mettre à l'écartC'est vrai, ma coque porte "rage"Je conçois mais c'était "Courage"Que l'on m'appelait sous Jean BartAvant que son second parrainUn boulet venu d'AngleterreMe fit -c'était de bonne guerre-L'entaille que je porte aux reins
- J'ai eu pour commandant SurcoufDans son poing brillait une gougeQui souvent fit couler du rougeDes corps bruns tombés sans dire ouf- Moi, j'eus pour nom "Bellérophon"J'ai vu rêver sous ma misaineAvant qu'il n'aille à Sainte-HélèneUn dénommé Napoléon
Et c'est ainsi que, balancésPar le clapotis d'une darse,Les vieux bateaux, leur âme éparse,Causent entre eux de leur passéOu bien contant dans le sereinAlors qu'au loin sonne la soupeÀ quelque petite chaloupeDes histoires de vieux marins