Nuit et brouillard
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliersNus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombésQui déchiraient la nuit de leurs ongles battantsIls étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombresDepuis longtemps leurs dés avaient été jetésDès que la main retombe il ne reste qu'une ombreIls ne devaient jamais plus revoir un été
La fuite monotone et sans hâte du tempsSurvivre encore un jour, une heure, obstinémentCombien de tours de roues, d'arrêts et de départsQui n'en finissent pas de distiller l'espoir
Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou SamuelCertains priaient Jésus, Jéhovah ou VichnouD'autres ne priaient pas, mais qu'importe le cielIls voulaient simplement ne plus vivre à genoux
Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyageCeux qui sont revenus peuvent-ils être heureuxIls essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âgeLes veines de leurs bras soient devenues si bleues
Les Allemands guettaient du haut des miradorsLa lune se taisait comme vous vous taisiezEn regardant au loin, en regardant dehorsVotre chair était tendre à leurs chiens policiers
On me dit à présent que ces mots n'ont plus coursQu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amourQue le sang sèche vite en entrant dans l'histoireEt qu'il ne sert à rien de prendre une guitare
Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter ?L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'étéJe twisterais les mots s'il fallait les twisterPour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez
Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliersNus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombésQui déchiriez la nuit de vos ongles battantsVous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent