Le Déserteur
C'est un trou de verdure, où chante une rivièreAccrochant follement aux herbes des haillonsD'argent; où le soleil, de la montagne fière,Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,Pâle dans son lit vert ou la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant commeSourirait un enfant malade, il fait un somme:Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine.Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrineTranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Monsieur le PrésidentJe vous fais une lettreQue vous lirez peut-êtreSi vous avez le tempsJe viens de recevoirMes papiers militairesPour partir à la guerreAvant mercredi soir.
Monsieur le PrésidentJe ne veux pas la faireJe ne suis pas sur terrePour tuer des pauvres gensC'est pas pour vous fâcherIl faut que je vous diseMa décision est priseJe m'en vais déserter.
Depuis que je suis néJ'ai vu mourir mon pèreJ'ai vu partir mes frèresEt pleurer mes enfants.Ma mère a tant souffertQu'elle est dedans sa tombeEt se moque des bombesEt se moque des vers.
Quand j'étais prisonnierOn m'a volé ma femmeOn m'a volé mon âmeEt tout mon cher passé.Demain de bon matinJe fermerai ma porteAu nez des années mortesJ'irai sur les chemins.
Je mendierai ma vieSur les routes de FranceDe Bretagne et en ProvenceEt je dirai aux gens:Refusez d'obéirRefusez de l'affaireN'allez pas à la guerreRefusez de partir.
S'il faut donner son sangAllez donner le vôtreVous êtes bon apôtreMonsieur le PrésidentSi vous me poursuivezPrévenez vos gendarmesQue je n'aurai pas d'armesEt qu'ils pourront tirer.