La fille à cent sous
Du temps que je vivais dans le troisième dessous,Ivrogne, immonde, infâme,Un plus soûlaud que moi, contre une pièce de cent sous,M'avait vendu sa femme.
Quand je l'eus mise au lit, quand j'voulus l'étrenner,Quand j'fis voler sa jupe,Il m'apparut alors qu'j'avais été bernéDans un marché de dupe.
«Remballe tes os, ma mie, et garde tes appas,Tu es bien trop maigrelette,Je suis un bon vivant, ça n'me concerne pasD'étreindre des squelettes.
«Retourne à ton mari, qu'il garde les cent sous,J'n'en fais pas une affaire.»Mais elle me répondit, le regard en dessous :«C'est vous que je préfère...
«J'suis pas bien grosse", fit-elle, d'une voix qui se noue,"Mais ce n'est pas ma faute...»Alors, moi, tout ému, j'la pris sur mes genouxPour lui compter les côtes.
«Toi qu'j'ai payée cent sous, dis-moi quel est ton nom,Ton p'tit nom de baptême ?- Je m'appelle Ninette. - Eh bien, pauvre Ninon,Console-toi, je t'aime.»
Et ce brave sac d'os dont j'n'avais pas voulu,Même pour une thune,M'est entré dans le coeur et n'en sortirait plusPour toute une fortune.
Du temps que je vivais dans le troisième dessous,Ivrogne, immonde, infâme,Un plus soûlaud que moi, contre une pièce de cent sous,M'avait vendu sa femme.