Les Deux Ménétriers
Sur les noirs chevaux sans mors,Sans selle et sans étriers,Par le royaume des mortsVont deux blancs ménétriers.Ils vont un galop d'enfer,Tout en raclant leur crincrinAvec des archets de fer,Ayant des cheveux pour crin.Au fracas des durs sabots,Au rire des violons,Les morts sortent des tombeaux.Dansons et cabriolons !
Et les trépassés joyeuxS'en vont par bonds et soufflant,Avec une flamme aux yeux,Rouge dans leurs crânes blancs.Et les noirs chevaux sans mors,Sans selle et sans étriersFont halte et voici qu'aux mortsParlent les ménétriers :
Le premier dit, d'une voixSonnant comme un tympanon :« Voulez-vous vivre deux fois ?Venez, la Vie est mon nom ! »Et tous, même les plus gueuxQui de rien n'avaient joui,Tous, dans un élan fougueux,Les morts ont répondu : « Oui ! »
Alors l'autre, d'une voixQui soupirait comme un cor,Leur dit : «Pour vivre deux fois,Il vous faut aimer encor !Aimez donc ! Enlacez-vous !Venez, l'Amour est mon nom ! »Mais tous, même les plus fous,Les morts ont répondu : « Non ! »
Et leurs doigts décharnés,Montrant leurs cœurs en lambeaux,Avec des cris de damnés,Sont rentrés dans leurs tombeaux.Et les blancs ménétriersSur leurs noirs chevaux sans mors,Sans selle et sans étriers,Ont laissé dormir les morts.