À mon frère revenant d'Italie
Ainsi, mon cher, tu t'en reviensDu pays dont je me souviens,Comme d'un rêve,De ces beaux lieux où l'orangerNaquit pour nous dédommagerDu péché d'Eve.
Tu l'as vu, ce fantôme altierQui jadis eut le monde entierSous son empire.César dans sa pourpre est tombé;Dans un petit manteau d'abbéSa veuve expire.
Tu t'es bercé sur ce flot purOù Naples enchâsse dans l'azurSa mosaïque,Oreiller des lazzaroniOù sont nés le macaroniEt la musique.
Qu'il soit rusé, simple ou moqueur,N'est-ce pas qu'il nous laisse au cœurUn charme étrange,Ce peuple ami de la gaietéQui donnerait gloire et beautéPour une orange ?
Ischia ! c'est là qu'on a des yeux,C'est là qu'un corsage amoureuxSerre la hanche.Sur un bas rouge bien tiréBrille, sous le jupon doré,La mule blanche.
Pauvre Ischia ! bien des gens n'ont vuTes jeunes filles que pied nuDans la poussière.On les endimanche à prix d'or;Mais ton pur soleil brille encorSur leur misère.
Quoi qu'il en soit, il est certainQue l'on ne parle pas latinDans les Abruzzes,Et que jamais un postillonN'y sera l'enfant d'ApollonNi des neuf Muses.
Toits superbes ! froids monuments !Linceul d'or sur des ossements !Ci-gît Venise.Là mon pauvre cœur est resté.S'il doit m'en être rapporté,Dieu le conduise !
Mais de quoi vais-je ici parler ?Que ferait l'homme désolé,Quand toi, cher frère,Ces lieux où j'ai failli mourir,Tu t'en viens de les parcourirPour te distraire?
Frère, ne t'en va plus si loin.D'un peu d'aide j'ai grand besoin,Quoi qu'il m'advienne.Je ne sais où va mon chemin,Mais je marche mieux quand ta mainSerre la mienne.